4 septembre 2009

Le rapport de Brodeck de Philippe Claudel







Ce livre donne à réfléchir sur une page terrible et douloureuse de notre Histoire,
sur les ressorts derrière les actes,
de ceux qui l'ont construite et de ceux qui l'ont subie.
Il débusque la petitesse, l'intolérance, la lâcheté, la violence et la folie érigées en dogmes. Mais il nous réchauffe aussi par le courage, l'amour, la tolérance,
l'amitié, l'espoir et le pardon qui, pour finir, se glissent malgré tout 
au coeur de l'impensable.
Un grand moment de littérature !



Extrait 1:

"Elle tenait mes deux mains dans les siennes et son visage était très proche du mien. Elle avait de grands yeux verts, très beaux, avec des paillettes d'or sur le pourtour de leur iris. Je me souviens d'avoir pensé que les yeux n'ont pas d'âge, et que l'on meurt avec ses yeux d'enfant, toujours, ses yeux qui un jour se sont ouverts sur le monde et ne l'ont plus lâché."

Extrait 2:

"Je n'ai jamais trouvé la pervenche des ravines dans nos montagnes. Pourtant, je l'ai vue dans un livre, un livre précieux: c'est une fleur pas très haute, à la tige fine et dont les pétales d'un bleu profond paraissent soudés à ne jamais vraiment vouloir s'ouvrir. Mais peut-être qu'il n'en pousse plus désormais. Peut-être que la nature a décidé de la retirer à jamais du grand catalogue, et de priver l'homme de sa beauté, de les en priver parce qu'ils ne la méritaient plus."

Extrait 3:

"Je ne pouvais m'empêcher de penser à l'enfant mort de Schloss, à tout ce qu'il m'avait dit sur lui, aux quelques heures passées dans notre monde. C'est tellement étrange une vie d'homme. Une fois qu'on y est précipité, on se demande souvent ce qu'on y fait. C'est peut-être pour cela que certains, un peu plus malins que d'autres, se contentent de pousser seulement un peu la porte, jettent un oeil, et apercevant ce qu'il y a derrière se prennent du désir de la refermer au plus vite.
Peut-être que ce sont eux qui ont raison."

Extrait 4:

"Moi, je ne demandais pas grand-chose. J'aurais aimé ne jamais quitter le village. Les montagnes, les bois, nos rivières, tout cela m'aurait suffi. J'aurais aimé être tenu loin de la rumeur du monde, mais autour de moi bien des peuples se sont entretués. Bien des pays sont morts et ne sont plus que des noms dans les livres d'Histoire. Certains en ont dévoré d'autres, les ont éventrés, violés, souillés. Et ce qui est juste n'a pas toujours triomphé de ce qui est sale. Pourquoi ai-je dû, comme des milliers d'autres hommes, porter une croix que je n'avais pas choisie, endurer un calvaire qui n'était pas fait pour mes épaules et qui ne me concernait pas ?
Qui a donc décidé de venir fouiller mon obscure existence, de déterrer ma maigre tranquillité, mon anonymat gris, pour me lancer comme une boule folle et minuscule dans un immense jeu de quilles ? Dieu ? Mais alors, s'Il existe, s'Il existe vraiment, qu'Il se cache. Qu'Il pose Ses deux mains sur Sa tête, et qu'Il la courbe. Peut-être, comme nous l'apprenait jadis Peiper, que beaucoup d'hommes ne sont pas dignes de Lui, mais aujourd'hui je sais aussi qu'Il n'est pas digne de la plupart d'entre nous, et que si la créature a pu engendrer l'horreur c'est uniquement parce que son Créateur lui en a soufflé la recette."

Extrait 5:

"Je ne crois pas que les rêves annoncent quoi que ce soit, comme certains le prétendent. Je pense simplement qu'ils adviennent au moment où il faut, et qu'ils nous disent, dans le creux de la nuit, ce que nous n'osons peut-être pas nous avouer en plein jour."

Extrait 6:

"Cela raconte beaucoup de choses une rivière, pour peu que l'on sache l'écouter. Mais les gens n'écoutent jamais ce que leur racontent les rivières, ce que leur racontent les forêts, les bêtes, les arbres, le ciel, les rochers des montagnes, les autres hommes. Il faut pourtant un temps pour dire, et un temps pour écouter."

Extrait 7:

"Limmat, quant à lui, ne se nourrissait que de légumes, de bouillons maigres, d'oeufs, de truites et de champignons, avec une prédilection pour les trompettes-de-la-mort, dont il m'avait dit un jour qu'elles étaient le monarque des champignons, et que leur air funèbre ne servait qu'à éloigner les sots et décourager les ignorants."

Extrait 8:

"En cette période, l'odeur de la merde ne me quittait pas. Elle était mon seul et vrai vêtement. Durant les nuits, dans les baraquements, j'avais ainsi davantage de place pour dormir car personne ne voulait être près de moi. L'homme est ainsi fait qu'il préfère se croire un pur esprit, un faiseur d'idées, de songes, de rêves et de merveilles. Il n'aime pas qu'on lui rappelle qu'il est aussi un être de matières, et que ce qui s'écoule entre ses fesses le constitue autant que ce qui s'agite et germe dans son cerveau."

Extrait 9:

"Quand je vois un oiseau mort, me dit Hans Dörfer, et que je le prends dans ma main, j'ai des larmes qui viennent dans mes yeux. Je ne peux pas m'empêcher. La mort d'un oiseau, il n'y a rien qui peut la justifier."


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