4 septembre 2009

Le livre de Joe de Jonathan Tropper






À première vue, Joe Goffman a tout pour lui : un magnifique appartement dans les quartiers chics de Manhattan, des aventures sentimentales en série, une décapotable dernier cri et des dollars comme s’il en pleuvait. Ce jeune auteur a très vite rencontré le succès avec son premier roman, Bush Falls. Directement inspiré de son adolescence passée dans une petite bourgade du Connecticut, ce best-seller ridiculise les mœurs provinciales de ses ex-concitoyens, dénonce leur hypocrisie, leur étroitesse d’esprit et toutes leurs turpitudes. Mais le jour où il est rappelé d’urgence à Bush Falls au chevet de son père mourant, il se retrouve confronté aux souvenirs qu’il croyait enfouis à jamais. Face à l’hostilité d’une ville entière, rattrapé par les fantômes de son passé, Joe va devoir affronter ses propres contradictions et peut-être enfin trouver sa place… Une histoire de vie attachante et franche.



Extrait 1:

" Tu te souviens des vieux dessins animés du Coyote, quand le Coyote se précipitait d'une falaise et qu'il continuait à courir jusqu'au moment où il baissait les yeux et réalisait qu'il cavalait dans le vide ? Et bien, je me suis toujours demandé ce qui lui serait arrivé s'il n'avait pas regardé en bas. Est-ce que l'air serait resté solide sous ses pieds jusqu'à ce qu'il ait atteint l'autre bord du précipice ? Je pense que oui, et je pense qu'on est tous comme ça. On s'élance pour traverser le canyon, le regard fixé droit devant soi vers les choses vraiment importantes, mais quelque chose, la peur ou un sentiment d'insécurité, nous fait regarder en bas. Alors on s'aperçoit qu'on marche sur du vide, on panique, on fait demi-tour et on pédale à toute vitesse pour retrouver la terre ferme. Mais si on ne baissait pas les yeux, on arriverait sans problème de l'autre côté. Là où sont les choses vraiment importantes."


Extrait 2:

" Les cercueils portent tous des noms du genre Wilton, Exeter, Balmoral, et Buckingham, comme pour suggérer l'idée que le défunt entrera dans l'au-delà en tant que membre de la gentry britannique. Parmi les options au choix, finition cuivre, poignées en bronze ciselées à la main et capitonnage en crêpe couleur champagne avec oreiller et coussinets assortis. Les modèles haut de gamme sont équipés du système breveté de matelas ajustable Eterna-rest, et certains ont un couvercle intérieur décoré - grottes illuminées avec incrustation de la Madone ou reproduction de la Cène. Seule l'envahissante omniprésence de la mort empêche ce business de sombrer totalement dans la farce."


Extrait 3:

" Seules quelques voitures se joignent à nous derrière le corbillard pour la procession jusqu'au cimetière, à l'autre bout de la ville. Une fois sur place, trois hommes plus âgés en veste Couguar, des copains de mon père, viennent nous prêter main-forte à Brad, Jared et moi pour porter le cercueil jusqu'à la tombe, à côté de laquelle on peut voir un monticule de terre et les traces de la tractopelle venue préparer l'emplacement la veille. Nous déposons le cercueil sur les deux planches placées en croix au-dessus de la fosse ouverte, et lorsque les fossoyeurs commencent à descendre la bière, je réalise, sous le choc, que je me tiens sur la tombe de ma mère. Je me retourne pour lire l'inscription gravée sur la plaque de marbre gris - Ellen Goffman, 1945-1983 - Epouse, Mère et Fille bien-aimée - et me retrouve soudain agenouillé, les doigts enfoncés dans les rainures des lettres formant son nom, à sangloter sans plus pouvoir m'arrêter tandis que, derrière moi, on lance des mottes de terre sur le cercueil de mon père, et quelque chose me heurte le front, quelque chose de froid, lisse et dur, le marbre vitrifié de la pierre tombale. Peut-être tombai-je dans les pommes, je n'en suis pas sûr, mais je sens distinctement que l'on me soulève au-dessus du sol, un vivant porté au milieu des tombes, pour une fois, et la dernière image qui me traverse l'esprit est que je n'avais jamais pensé à elle comme à l'épouse de mon père, et que cela était très injuste de ma part car il avait perdu quelque chose, lui aussi, et cette perte-là était peut-être encore plus immense que la mienne."


Extrait 4:

" L'erreur, comme on dit, est humaine. Le pardon, lui, est divin. S'abstenir de pardonner jusqu'à ce qu'il soit trop tard est donc une erreur divinement conne. Maintenant que j'ai enterré mon père, je réalise que j'ai toujours eu l'intention de lui pardonner. Mais j'ai dû fermer les yeux à un moment, et dix-sept années se sont écoulées; aujourd'hui, ce pardon jamais accordé me ronge de l'intérieur telle une septicémie."


Extrait 5:

" Posée sur la plus haute étagère de mon bureau se trouvait ma vieille stéréo Fisher. J'appuie sur l'énorme bouton POWER argenté, et tous les voyants s'allument avec un couinement sonore. Emerveillé, je vois le bras du phono qui se lève automatiquement et se déplace jusqu'au bord de la platine, sur laquelle est posé un vieux 45 tours. Il n'y avait aucune raison que l'appareil ne fonctionne plus, mais je ne peux m'empêcher d'être surpris. La chaîne est branché derrière le bureau, et je me souviens de la galère que ç'avait été pour déplacer ce fichu meuble afin d'atteindre la prise. Je suis sidéré que les conséquences d'un geste, effectué par le gamin que j'étais avant de devenir moi, aient perduré jusqu'à aujourd'hui, comme s'il allait de soi que je reviendrais un jour. Nous voici soudain connectés, ce môme et moi, par une sorte de faille dans le continuum temps, et je le distingue avec une netteté parfaite tandis que ses angoisses et ses pensées submergent mon esprit, que ses jeunes humeurs se déversent dans mes veines et, le temps d'un éclair, par l'effet de je ne sais quelle espèce de mémoire molléculaire, je suis lui à nouveau. Je ressens comme un fourmillement dans les jambes et je m'empresse de m'asseoir dans le lit. Les hauts parleurs crachotent les premières notes de In your eyes de Peter Gabriel et je ne peux m'empêcher de sourire."



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